Dans la vie, il y a deux grandes catégories de jeux vidéos. Non, en fait, il y en a beaucoup plus que cela, mais qu'on arrête de m'interrompre, j'essaie de faire une introduction. D'un côté, donc, il y a les grands jeux blockbusters réalisés à coups de millions par des génies et qui font un tabac immédiat (que ce soit justifié ou pas), et il y a les petits jeux mal foutus, bricolés par des manchots avaricieux et profiteurs dans le plus pur style de Mindscape*.
Et puis dans la troisième catégorie (oui, bon, il y a trois catégories maintenant, t'es content ?), il y a ces jeux qui sortent presque sans faire de bruit, d'une qualité indéniable -quoique parfois entachée de défauts plus ou moins rédhibitoires-, et restent plus ou moins anonymes, mais qui pourtant, par une magie propre au monde d'Internet et qu'on ne s'explique pas, conservent des années plus tard un noyau d'irréductibles fans**.
Arcanum : Engrenages & Sortilèges, RPG sorti en 2001, fait partie de cette dernière catégorie (oui, c'est le jeu dont au sujet duquel qu'on parle, aujourd'hui). Signé
Troïka Games, boîte de développement qui sortit un grand total de trois jeux avant de fermer pour absence de rentabilité,
Arcanum porte d'ailleurs les caractéristiques propres à ladite boîte : un principe de base original, un scénario bien mené, une réalisation globalement solide... et une sacrée chiée de bugs, ouais.
J'ai encore rien fait et c'est déjà le bordel
L'histoire se déroule dans un monde très original fait à la fois de
fantasy (des nains, des elfes, mais aussi des gnomes, des halfelins, des demi-ogres...) et de
steampunk où magie et technologie cohabitent... Enfin, "cohabitent"... Un peu à la façon qu'ont les nains et les elfes de cohabiter. En effet, suite à l'apparition et à la popularisation de la machine à vapeur (ainsi que de quelques autres trucs sans importance, genre les armes à feu), la magie perd de sa puissance et ses adeptes sont pas jouasses. Cette dichotomie, en plus d'être une partie cruciale du récit, a également une grande importance pour le joueur puisque son personnage pourra aussi choisir son orientation, et ainsi gagner les faveurs de ceux qui ont choisi la même (en plus des foudres de ceux de l'autre côté, mais bon, c'est la vie).
Ainsi, les arcanes de la magie offriront à l'aspirant sorcier toute une gamme de sorts choisis parmi seize écoles :
Air,
Eau,
Feu,
Terre... Moui, jusque là, on nage en eaux connues...
Déplacement,
Divination,
Nécromancie Blanche (qui, malgré son nom, concerne les sorts de soins),
Nécromancie Noire (comme ça Bennetton nous fichera la paix),
Énergie,
Mental,
Meta,
Transformation,
Nature,
Illusion,
Invocation et enfin
Temporel. A raison de cinq par école, ça fait quand même la bagatelle de 80 sorts aux effets et utilités très variés, de l'indémodable "
Boule de Feu" jusqu'au fort bien nommé "
Supprimer la Vie", en passant par la "
Téléportation" et l'"
Invocation d'un Familier".
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Nouvelle fracassante : les elfes vivent dans les arbres |
Celui qui embrassera la technologie se verra offrir la capacité de fabriquer toutes sortes de bidules à l'aide de machins (concrètement, de mélanger deux objets pour en créer un troisième). Selon son choix, il pourra se spécialiser dans la
Chimie, l'
Électricité, les
Explosifs, l'
Armurerie (en fait, les armes à feu faites maisons), la
Botanique, la
Mécanique, la
Forge et la
Thérapeutique. Et toutes les combinaisons sont bien sûr imaginables : un mélange d'
Explosifs et d'
Armurerie pourra, à haut niveau, faire de son personnage une armée d'un seul homme, lançant des cocktails molotov d'une main tout en dégommant les survivants au fusil de l'autre. De même, combiner
Botanique et
Thérapeutique fera un... heum... fera sans doute quelque chose d'intéressant, mais pour moi, ça manque quand même pas mal de piquant.
En plus de ce contexte déjà pas mal explosif, il faut ajouter quelques rivalités politiques et économiques entre les différentes nations et royaumes, ainsi qu'un climat de tensions sociales qui rappellent plus d'une fois l'Europe de la seconde moitié du dix-neuvième siècle (avec les gnomes dans le rôle de la bourgeoisie, les elfes dans celui des nobles perdant peu à peu leur influence sur le monde moderne, les orcs qui font office de prolétariat et les humains qui... bah, qui sont là, quoi.). Entre esclavagisme, problèmes environnementaux, racisme... le monde d'
Arcanum se révèle très vite une vraie poudrière. Et c'est bien sûr au joueur de décider s'il compte y foutre le feu...
Un anneau pour le trouver
L'histoire commence alors que le joueur se trouve à bord du zeppelin
IFS Zephyr, pour son voyage inaugural. Alors qu'il passe au-dessus d'une chaîne de montagnes, le dirigeable se fait soudain attaquer par deux étranges appareils volants. Gravement endommagé, le
Zephyr s'écrase, tuant tous ses occupants à l'exception d'un seul... Oui, bien sûr que c'est le joueur, imbécile. T'aurais l'air malin, tu lances une nouvelle partie et hop ! t'es mort à la première cinématique. D'autant que l'idée a déjà été utilisée dans
Discworld Noir, alors bon.
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Marcher, c'est bien. Au moins, on s'écrase pas. |
Dans les décombres encore fumants, le joueur découvre un gnome mourant. Celui-ci nous conjure de trouver l'"enfant", et nous remet un mystérieux anneau
en nous demandant d'aller le balancer dans le volcan en éruption le plus proche. Le gnome déclare encore qu'un "grand mal" approche, et comme d'hab', c'est à nous autres pauvres geeks de nous en charger. Pas de problèmes, on est rodés, à force.
Ainsi commence une très longue aventure qui nous mènera aux quatre coins du monde d'
Arcanum, nous amenant à découvrir de grandes villes industrialisées, des mines de Nains perdues dans les montagnes, de vastes forêts où se terrent des elfes sympas (et d'autre carrément moins, mais enfin passons), et beaucoup, beaucoup d'autres surprises. L'intrigue prendra très vite une dimension
carrément épique à mesure que la quête principale progresse. Tu croyais quand même pas qu'on allait réaliser un jeu dont le seul but est de rendre son anneau à un type, si ?
Diplomatie vorpale +5
Ce qui fait l'originalité (et à mon sens la force) d'
Arcanum, c'est que le jeu n'est clairement pas orienté vers le combat, à la différence d'autres plus célèbres concurrents du genre comme
Baldur's Gate. Si les coups d'épées dans la gueule sont toujours une réponse à beaucoup de situations, ça n'est jamais la seule. Petit exemple : très tôt dans le jeu, le joueur est confronté à une bande de malfrats qui exige une coquette somme d'argent en échange du passage vers la sortie des lieux. Pour pallier à ce problème (sans débourser un rond, ça va de soi), le joueur peut évidemment tailler sa route à coups de boules de feu, s'associer au chef des bandits et remplir une petite corvée pour lui, ou... convaincre tout ce petit monde d'une toute autre manière, que je ne révélerais pas ici.
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Pour sûr, c'est artistique... |
Il devient très vite évident que les dialogues et la persuasion tiennent une place prépondérante dans le jeu. Le système de dialogues est à ce sujet extrêmement fouillé : que ce soit par la race, le sexe, l'intelligence, l'alignement moral, le charisme, les interactions avec les différents PNJs varieront dans une grande mesure. Essaie donc de faire un demi-ogre avec moins de 5 en intelligence, si tu ne me crois pas...
D'ailleurs, il est tout à fait possible (quoi que pas très simple) de finir le jeu pratiquement sans tuer personne. Pour peu que l'on booste sa persuasion et les attributs appropriés, un maître dans l'art et la manière d'argumenter n'aura aucun mal à se tirer des situations les plus délicates. Jouer un personnage social est d'ailleurs l'un des moyens les plus efficaces d'exploiter tout le potentiel du jeu. Enfin, "tout", c'est vite dit... car la richesse d'
Arcanum est telle qu'il faudra plusieurs parties et des personnages très différents pour l'apprécier pleinement.
Ta gueule, c'est magique
Évidemment,
Arcanum n'est pas parfait. A la rubrique des défauts, on pourrait citer un système de combat brouillon, une absence quasi-totale de cinématique (il y en a quatre en tout et pour tout, dont celle du lancement du jeu, qui doit durer quinze secondes à tout casser), une modélisation des personnages bien peu variée et, dans l'ensemble, des combats un peu trop simples.
Ah oui, et puis il y a les bugs sus-cités aussi : de temps en temps, le jeu freeze, ralentit, voire plante sans raison ; quelques dialogues qui ne se déclenchent pas du tout ou pas comme il le faudrait et qui se barrent dans une étrange direction (Je citerais comme exemple cette prêtresse de l'amour (oui, c'est bon, vos gueules dans le fond...) que j'ai envoyé chier gratuitement parce que c'était la seule option de dialogue possible) ; des sorciers qui oublient un peu trop souvent qu'ils possèdent des sorts, faute à une IA lacunaire ; enfin, du classique pour
Troïka, quoi.
On ne dit pas "nain", on dit "personne de taille ridicule"
Mais 'fin bon, ça suffit pas pour faire de
Arcanum un mauvais jeu, n'est-ce pas ? En tous cas, moi je dis que non, et comme t'es sur mon blog, tu vas me faire le plaisir d'être d'accord avec moi sinon je boude.
Non, parce que voilà, quoi.
Arcanum : Engrenages et Sortilèges est un jeu doté d'un incroyable potentiel, d'une excellente durée de vie (et vaut le coup d'être joué plusieurs fois), d'un système de dialogues intelligent et bien fichu, ce qui en fait un jeu culte pour tout fanatique de RPG. D'ailleurs, la communauté d'irréductibles fans sus-mentionnée travaille encore aujourd'hui à l'élaboration de patchs (vu que de la part de
Troïka ça risque plus d'arriver). Quel monde magnifique que l'Internet.