Chers petits lecteurs adorés, puisque c'est Noël, je vous fait cadeau d'une autre de mes nouvelles. Alors, vous êtes contents ?
[silence]
Je vous emmerde.
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La famille Mundane
(prononcé « Moune-danne », s'il-vous-plait, c'est
danois) avait ceci de particulier qu'elle n'avait strictement rien de
particulier, et ceci d'intéressant qu'à vrai dire elle n'était
nullement intéressante. Pour vous donner une idée de l'absence
totale de particularité et d'intérêt de la famille Mundane,
considérez que si cette famille était un modèle de voiture, ce
serait une Renault 4L. Si c'était une couleur, ce serait le gris
pigeon. Si c'était un jeu de société, ce serait le morpion.
Ils étaient si inintéressants qu'aucun épithète ne saurait les
décrire avec précision. Ils avaient élevé l'art d'être banal au point que ce mot
n'avait plus de sens. Voici pourtant l'histoire de comment cette
famille eu un Noël qui mérite presque d'être conté.
Le père de famille,
Gilbert Mundane, était âgé de 47 ans et entretenait, en plus d'une
passion modérée pour la culture des pétunias, une moustache brune
qui jurait très bien avec ses cheveux gris. Gilbert travaillait
comme comptable (« pas expert-comptable, non, enfin, pas
encore, mais qui sait, la vie c'est le changement, ho ho ho. »)
dans une entreprise de fabrication de tubes métalliques où ses
collègues de bureau le surnommaient affectueusement « le
boche », car l'Allemagne et le Danemark, c'est kif-kif, non ?
Ses distractions, outre arroser suffisamment ses fleurs pour ne pas
qu'elles meurent, consistaient en la consommation de bière blonde en
canettes et l'observation assidue de son écran de télévision,
observation qu'il entrecoupait à intervalles réguliers de
commentaires sur la stupidité des programmes et la multiplication
envahissante des publicités.
Il arrivait à Gilbert
Mundane de voter aux élections. Un observateur quelque peu cynique
dirait que son allégeance politique dépendait du temps qu'il fait :
ensoleillé, il votait socialiste ; couvert, il votait à
droite ; orageux, il votait communiste ; pluvieux, il
votait à l'extrême-droite (mais « uniquement pour protester,
houlà ! »). Un observateur très cynique dirait également que
par temps neigeux, il voterait sans doute au centre, mais cet
observateur aurait tort : les jours de neige, Gilbert Mundane
restait chez lui et ne votait pas, tout simplement. Après
tout : "voter, bon, je veux bien, mais c'est pas un vote qui
fait la différence, ah ça non. »
Gilbert Mundane aimait
sa femme et ses enfants, presque autant qu'il aimait ses charentaises
(« souvenir de nos vacances en Charente-Maritime, ah, c'était
joli là-bas, hein maman ? »). Il aimait aussi son chien
Chirac (nommé ainsi « pour une blague que m'a faite un copain,
ho ho ho. »), qu'il lui arrivait même de caresser juste sous
le col en l'appelant (« ho ho ho. ») Chichi. Le
toutou s'en foutait éperdument, ayant grâce au Ciel perdu à peu
près toute forme d'ouïe à mesure que l'âge l'emportait sur son
métabolisme canin, et remarquant à peu près autant les caresses
que le fonctionnaire moyen remarque la frustration qu'il provoque
chez le client avec lequel il a affaire. Et puis, tant qu'on ne lui
mettait pas un coup de pied au cul, c'était à peine s'il remarquait
les humains qui l'entouraient.
Roberte Mundane, 45 ans,
épouse de Gilbert et coupable avec lui de la mise au monde des deux
adorables bambins que nous présenterons ci-après, était une femme
réservée au point qu'on n'avait jamais même besoin de lui demander
de fermer sa gueule. C'était une femme qui, de par son existence,
contredisait le vieux dicton selon lequel on ne pouvait se fier aux
apparences ; elle était en effet aussi plate d'esprit que de
corps. C'était une femme dont la personnalité était à peu près
aussi vide que l'avenir d'un doctorant en philosophie, et tout aussi
inintéressante que le curriculum de
ce dernier. Roberte n'avait ainsi jamais eu de véritable
hobby, ni vraiment de passion, ni réellement de métier durant toute
sa vie.
Son activité favorite
-non, disons plutôt l'activité qui revenait le plus souvent sur son
emploi du temps- était de nettoyer les pièces de la maison qu'elle
avait déjà nettoyé hier. Et puis les objets que contenaient cette
pièce. Lorsque le désœuvrement l'envahissait de trop, il lui
arrivait, dans un moment d'égarement sans doute, de boire jusqu'à
un verre de vin blanc par semaine. Certes, elle le faisait cuire
auparavant pour éliminer la majeure partie de l'alcool et le diluait
dans trois-quarts d'eau afin de se débarrasser du goût, de crainte
qu'elle ne sombra plus avant dans l'alcoolisme, mais tout de même.
La cuisine de madame
Mundane était à l'image de la maîtresse de maison : terne et
sans surprise. Les épices et l'exotisme étaient des concepts aussi
étrangers à Roberte que l'astrophysique l'est à l'acarien, ou que
l'autocritique l'est au politicien. Si certains ont le talent de
faire surgir des goûts insoupçonnés dans des ingrédients
ordinaires, Roberte avait elle le don de rendre saumâtre et fade
même le plat le plus appétissant sur le papier.
Edmond fut le premier
enfant à naître des époux Mundane. Dès lors qu'il entra dans
l'adolescence, il s'empressa de considérer cette naissance comme
l'équivalent de l'un des plus terrifiants accidents biologiques
depuis l'extinction des dinosaures, ou du pire coup de pute jamais
réalisé par les dieux. En effet, pour Edmond, seize ans, l'âge
idiot était arrivé, cet âge où il semble neurologiquement
impossible à un garçon de ne pas vomir le moindre mot émit par ses parents, cet âge où le monde n'a plus d'autres couleurs que les
teintes de gris béton et de brun merde de chien, cet âge enfin où
la voix de celui qui sera bientôt un homme -à supposer que le tueur
pédophobe local n'y vit pas d'inconvénient- donne l'impression à
son entourage que quelqu'un grince des dents contre un tableau noir
tout près de leurs oreilles.
Comme déterminé à
aggraver son cas, Edmond décida, Dieu lui-même ignore comment ou
pourquoi, qu'il possédait un talent pour la poésie. C'est ainsi que
du soir au matin, du matin au soir, jusque pendant les cours, les
repas et les pauses pipi, l'adolescent gribouillait des cahiers
entiers de sa prose dégoulinante de déprime morose. Ses sujets de
prédilections étaient, dans cet ordre d'importance : son
malheur, son blues, son
désespoir de vivre et la fatalité de la vie. Qui plus est, un
critique littéraire qui aurait par extraordinaire étudié ses
œuvres aurait découvert que l'essentiel de son talent provenait du
dictionnaire de synonymes intégré à Word. Ce même critique aurait
également regretté qu'Edmond n'ait point aussi employé le
correcteur orthographique du même logiciel. Le niveau moyen de ces
créations atteignait précisément ce degré de nullité où ils ne pouvaient
même pas être appréciés au second degré, mais sans toutefois être si
nuls qu'ils en deviennent exceptionnels, à la façon d'un film d'Ed
Wood. Ses poésies étaient simplement d'une nullité ordinaire.
Ne
trouvant dans son entourage de lycéen aucune personne suffisamment
peu versée dans la littérature pour apprécier ses poèmes, Edmond
se tourna naturellement vers les réseaux sociaux. Là, il consacra
le temps qu'il n'investissait pas dans la rédaction de ses colombins
à leur mise en ligne afin que le monde soit témoin de son talent
comparé au reste de sa génération qui baignait dans l'illettrisme
-il commettait toujours au moins deux fautes lorsqu'il écrivait ce
mot. Puisque personne ne semblait vouloir le faire, il rédigeait
lui-même les commentaires et critiques de ses propres poèmes.
Le
tableau familial s'achevait avec le dernier des deux fils, Édouard,
qui de tous les Mundane était le plus proche d'avoir un trait qui
pourrait être vaguement considéré comme intéressant. Ou du moins
particulier. L'enfant n'avait pas deux ans que déjà son
comportement suscitait une curiosité quelque peu alarmée de ses
parents. Ainsi, il lui arrivait entre autres bizarreries de manger
des morceaux de tapisserie qu'il arrachait aux murs, de s'enfoncer sa fourchette en plastique dans les fesses et de cracher dans
son biberon pour le boire ensuite, ce qui laissait les parents
Mundane circonspects. Plus ou moins inquiets, ceux-ci s'en allèrent
montrer le marmot à tous les pédiatres, pédopsychiatres et
gynécologues de la région. Ils découvrirent très vite, ébahis,
qu'un gynécologue n'a en fait absolument rien à voir avec les
maladies infantiles (« ah ben on se couchera moins bêtes, ho
ho ho. »). Quant à Édouard, on lui fit passer toute une série
de tests. Les résultats étaient clairs : le dernier des
Mundane, loin d'être autiste ou trisomique, était simplement un peu
con. Ça n'était pas du ressort de la médecine, et ça n'avait rien
d'exceptionnel. Rien du tout.
Les
parents Mundane acceptèrent la nouvelle avec un haussement d'épaules
et le gosse continua sa vie de petit con jusqu'à entrer dans sa
quatorzième année, date à laquelle il devint officiellement un con
de taille moyenne. Ce fut également à cette période approximative
que le mot « con » perdit finalement de son attrait pour
Édouard, sans doute parce qu'il l'avait utilisé à toutes les
sauces dans toutes ses conversations depuis que son père le lui
avait involontairement appris cinq ans plus tôt. Il décida donc
fort logiquement de passer au mot « bite », ce qui
cadrait tellement bien avec le moment de l'éveil de ses hormones qu'on eu peut
soupçonner quelque malice de sa part s'il eut été quelqu'un
d'autre.
Les
distractions d'Édouard incluaient mettre de la purée ou de la pâte
à modeler dans les oreilles du chien, aidé du fait que celui-ci
s'en tamponnait l'entendement en raison de la surdité
sus-mentionnée, manger du papier -avec une préférence pour les
feuilles à grands carreaux- et produire ce qu'il considérait comme
être de la musique avec ses gencives.
Tout
ce petit monde s'apprêtait donc à passer le réveillon de Noël en
famille, une soirée qui était traditionnellement réduite à un
dîner devant la télévision, suivie d'une bûche à la génoise
que, grâce en soit rendue aux dieux, Roberte achetait au rayon
surgelé plutôt que de la faire elle-même. Ensuite de quoi la
famille retournait vaquer à ses occupations, ou à l'absence
d'icelles.
Cette
année-là, Gilbert avait poussé le luxe jusqu'à acquérir un sapin
de Noël, d'une taille de trente centimètres, qu'il avait posé sur
le poste de TV et auquel il avait ajouté une guirlande électrique
dont la lumière rougeâtre crue et clignotante n'était pas sans
rappeler le néon de l'enseigne d'un sex shop.
Quelques branches de l'arbre avaient également été décorées
d'anneaux d'ouverture de canettes de bière par le fils cadet. Ce
machin vert, rouge et gris argenté, trônant devant les rideaux roses et la
tapisserie beige du salon, avait en plus l'avantage de niquer les
yeux de toute personne tentant de regarder la télévision
tranquillement. Gilbert, qui en était pourtant le plus incommodé,
refusa cependant de le déplacer, à la fois parce qu'il n'y avait
nulle autre endroit ou le mettre et par fainéantise (« bof, de
toutes façons, y'a rien à la télé ces temps-ci, ho ho ho. »).
Ce
jour du 24 décembre, Gilbert avait accepté de rester quelques
heures supplémentaires au bureau afin d'apporter quelques
corrections très importantes au bilan annuel de son entreprise
(« « comptabilité » ça prend toujours deux « l »,
ah bah heureusement que je suis là quand même, hein ? Ho ho
ho. »). Sa famille avait accepté de retarder l'heure du dîner,
car c'était Noël et parce que de toutes façons une dinde
dégueulasse et des pommes de terres mal cuites ne seraient pas moins
immondes si on les consommait à vingt heures plutôt à qu'à
dix-sept heures.
Gilbert
Mundane arriva donc sur les coups de 20 heures et 42 minutes (« ho
là là, la circulation en ce moment, vous le croiriez pas, ho ho
ho. ») et trouva ses deux adolescents effondrés sur le canapé
avec cet air joyeux qu'on affiche volontiers devant les pages de
publicité, et sa femme dans la cuisine à observer le four comme
s'il s'y trouvait quelque révélation divine. Gilbert partit d'un
« joyeux Noël tout le monde ! » en échange duquel
il reçut un « hum », un « bof » et un « ta
gueule, on regarde Sabatier. ».
On
passa rapidement à table. La famille se jeta sur les plats de telle
façon qu'un observateur indépendant aurait cru en voyant les Mundane qu'ils
tenaient à s'assurer que la dinde était bien morte en la déchirant
en multiples morceaux avec rage avant de l'enfoncer dans leurs
gosiers respectifs avec un bref mâchouillage. On aurait crû à un
documentaire animalier, ceux où l'on voit de grands félins se jeter
sur des herbivores pour les réduire en lanières de chair, à ceci
près qu'ici les animaux étaient bipèdes, plus graisseux que
gracieux et que le chef de meute portait un bonnet de fête en carton rouge fluo.
La
bûche connut le même sort sitôt que les Mundane eurent roté les
derniers abats du volatile. Lorsqu'il n'en resta plus que les
figurines en plastique, Gilbert, d'un geste de la main plein de
mansuétude et de tâches de chocolat, autorisa ses enfants à disparaître de
sa vue. Il se leva à son tour, si brusquement qu'il en renversa son
verre de gros rouge, heureusement -et naturellement- vide. Posant une
palluche attendrie, dans laquelle se trouvait encore un reste de
pomme de terre, sur l'épaule de son épouse, il lui tint à peu près
ce langage :
« C'était
pas mal, maman. Hurps. » ajouta-t-il en hoquetant et éructant
simultanément.
L'intéressée
renifla pour toute réponse.
La
soirée se passa plus vite encore que le souper. Il y eut des rires,
des chants, des larmes, des souvenirs nostalgiques des Noëls passés
et nombre de démonstrations de bons sentiments. Dans les émissions
télévisées qu'ils regardèrent, cela va sans dire. En ce qui
concerne la famille elle-même, ils filèrent dans leurs chambres
respectives sitôt l'inévitable diffusion annuelle de Le père
Noël est une ordure terminée.
Personne
ne souhaitant réveillonner, tout le monde s'enferma dans sa chambre,
ferma les volets, monta le chauffage et alla se coucher (à
l'exception d'Edmond, qui décida de consacrer son temps libre à la
rédaction d'un poème fustigeant Noël comme n'étant qu'une fête
inventée par Coca-Cola pour augmenter son chiffre d'affaires, ainsi
que les hordes de moutons qui, n'étant pas Edmond, se laissaient
avoir chaque année ; une opinion des plus originales à n'en
pas douter). Gilbert enfila son pyjama et se mit au lit en faisait la
liste de tout ce qu'il allait pouvoir faire le lendemain :
rester assis sur le canapé à roupiller, se lever pour aller
chercher une bière au frigo, puis s'asseoir sur le fauteuil à côté
du canapé pour roupiller.
Il
était plus de dix heures du matin quand il se réveilla. Pris d'une
pulsion qu'il n'avait pratiquement plus qu'une fois par année
bissextile à son âge, il se tourna vers sa femme et lui secoua
l'épaule.
« Hé,
maman, ça te dit ? » gloussa-t-il avec toute la finesse
dont il est était incapable.
Roberte
ne produisit pas un son, et ne bougea pas non plus d'un pouce.
Gilbert
s'avisa qu'elle faisait semblant de dormir pour ne pas avoir à
répondre, et que ça devait vouloir dire qu'elle n'était pas
intéressée. Il se leva et se mit en devoir d'occuper ses pensées
avec autre chose que son érection. Il se dirigea vers la salle de
bains en sifflant et poussa la porte. Edmond était déjà à
l'intérieur, la tête plongée dans la cuvette des toilettes, les
bras ballants. Cette vision déclencha un rire gras chez Gilbert qui
se flatta de mieux tenir l'alcool que son rejeton intellectuellement
amoindri. Il souleva le corps du môme, lui essuya le visage avec la
balayette des W.C., puis le lâcha sur le tapis près de la douche.
Une
fois le lavage de sa masse corporelle terminé, Gilbert descendit
dans la salle à manger pour déguster sa première bière du matin.
Ainsi qu'il aimait le dire à qui voulait bien l'entendre, cet-à-dire
uniquement à son chien : « Bière à jeun, bière très
bien. » (à se demander de qui Edmond tenait son don pour la
poésie). En pénétrant dans la salle, il trouva, effondré sur la
table basse, son autre fils Edmond. Gilbert fut surpris de ce
tableau. Edmond, de ce que son père savait de lui, n'était pas du genre à
boire, encore moins à se livrer à quelque acrobatie que ce soit
impliquant une table basse. Le père de famille en déduisit qu'il se
passait quelque chose de pas tout à fait normal.
Il
prit son fils par les épaules et le secoua comme un prunier en
prononçant son nom. Aucun résultat. Il lui souleva la tête, puis
la laissa tomber. Pas de réaction. Gilbert sortit alors son paquet
de cigarettes et lui en colla une dans chaque narine, puis dans
chaque oreille, avant de glousser comme un gosse de maternelle qui
vient de découvrir que la nature l'a pourvu d'une zigounette.
S'arrêtant brusquement de rire, il comprit finalement que ce qu'il
se passait, non content de ne pas être tout à fait normal, était
même plutôt anormal.
Paniqué,
il prit son téléphone et composa le numéro de l'hôpital le plus
proche. Une réceptionniste de toute évidence encore beurrée lui
répondit :
« Mwallo,
hôpital de Couïc-la-Vieille, que puis-je pour vous ?
-
Faut m'aider, beugla Gilbert. Y'a ma femme, mon fils et le débile
qui bougent plus. Ils sont malades ou un truc du genre !
-
Mmmmh. Vous avez pris leur pouls ?
- Ah
non, j'ai rien pris du tout, vous m'avez pris pour qui ? Et puis
d'abord mon fils est très propre, je vous ferais dire !
-
Non, monsieur, je veux dire : avez-vous vérifié les battements
de leur cœur ?
-
Ah ! Ah ben non, attendez.
Gilbert
s'approcha d'Edmond en tendant le cable téléphonique au maximum,
puis plaqua la main sur sa poitrine, au niveau du poumon droit.
- Ah
ben ! éructa-t-il. Ah ben, je crois bien qu'il en a pas !
-
Mmmmh. Pouvez-vous vérifier s'ils respirent, je vous prie ?
Le
père colla son oreille contre le nez et la bouche du fiston.
- Ah
ben on dirait bien que non ! Ils respirent pas, ils poulsent
pas ! Ca doit être un peu grave ce qu'ils ont comme maladie !
-
Mmmmh. C'est un peu comme s'ils étaient morts, en fait ?
-
Oui, exactement comme s'ils... Ah ben j'suis con, s'exclama-t-il en
pouffant alors que venait de jaillir dans son esprit un éclair de
génie qui en aurait fait pâlir d'envie Archimède et sa baignoire.
Ils sont pas malades en fait, ils sont morts. Excusez du dérangement,
bonne soirée et joyeux Noël. »
Gilbert
raccrocha au nez de la réceptionniste qui s'apprêtait à lui
expliquer qu'elle allait quand même envoyer une ambulance sur les
lieux. Il se mit une gifle sur le front. Était-il bête ! Sa
femme ne le boudait pas, son fils n'était pas malade et l'autre
n'était pas ivre. Ils étaient morts ! Gilbert s'avisa qu'en y
réfléchissant, c'était même plutôt évident.
Sourcillant
quelque peu, Gilbert se demanda ce qui avait bien pu se passer.
N'ayant pas spécialement envie de se creuser la cervelle le jour de
Noël, il conclut que ce devait être la cuisine de sa femme. Ah ça !
se dit-il. Pour que la dinde ait un goût de viande blanche, faut
qu'elle soit mal cuite ! Ce n'est que lorsqu'il jeta un œil à
son sapin qu'il fut forcé de constater que son hypothèse initiale
était, pour parler par euphémisme, complètement à côté de la
plaque.
Le
sapin de Noël, en effet, était n'était plus qu'une motte de
plastique noire fondue. Un rideau tout entier et une partie de la
tapisserie avaient également disparu. La guirlande, de toute
évidence, avait eu un court-jus, provoquant un départ de feu qui
s'était rapidement étendu. Les fumées émises par le plastique
brûlé et les matériaux bon marché en avaient ensuite profité
pour aller se balader un peu partout dans la maison et en occire les
occupants.
Oui
mais alors, comment expliquer que Gilbert Mundane ait survécu, alors
que même sa femme, qui dormait à ses côtés, avait été
refroidie ? La véritable raison, Gilbert ne la connut jamais.
Peut-être n'y en avait-il tout bonnement pas. Peut-être, tout
simplement, était-ce que Gilbert Mundane était un homme si
inintéressant que la Mort elle-même n'avait pas fait attention à
lui.
« Ah
ben y'a des jours où on ferait mieux pas se lever, hein ! »
mugit-il en guise d'ultime trait d'esprit avant de retourner se
coucher.
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Ainsi ce conclut cette belle histoire pleine de poésie et de bons sentiments. Bonnes fêtes de fin d'année à tous. Prochain article le 6 janvier 2014.
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