6 janvier 2014

La maladie du prix Nobel

Lecteur, tu as certainement entendu parler du sophisme connu sous le nom d'appel à l'autorité (ou argumentum ad verecundiam pour ceux qui veulent se la jouer auprès des nanas). Le principe est -trop- simple, en voici un exemple illustratif :
"QUOI ?! Tu crois sérieusement à la version officielle pour les attentats du World Trade Center ?
- Ben, oui, il faut bien avouer que les théories du complot, en général...
- Ah ouais ? Eh bien Hugo Chavez lui-même a dit que c'est un inside job !
- Et alors ?...
- C'est un politicien ! Ils savent ces choses-là, les politiciens ! Si un politicien dit que l'effondrement du WTC, c'était à cause d'une démolition contrôlée, c'est que c'est vrai !
- Attends... C'est pas lui aussi qui avait raconté que les USA possèdent une arme secrète qui a provoqué le tremblement de terre à Hawaï, que la CIA file le cancer à ses opposants et qui a apporté son soutien à Ahmadinejad et Kadhafi* ?
- Non mais ça compte pas, ça.
- D'ailleurs, il y a aussi des politiciens qui la soutiennent, la "version officielle". Du coup, ça veut dire-
- Ça compte pas non plus !"

Les principales victimes de l'appel à l'autorité sont naturellement les grandes célébrités du monde scientifique, principalement le très populaire physicien Albert Einstein, qui s'est vu assigner post-mortem  l'insigne honneur d'être constamment cité comme autorité suprême dans des sujets qui n'ont rien à voir avec la physique, comme la religion ou le végétarisme. Les secondes cibles par ordre de popularité sont les récipiendaires du prix Nobel (peu importe lequel). C'est vrai, quoi, un lauréat du prix Nobel ne peut pas se tromper ! Cette récompense ne peut être attribuée qu'à des gens exceptionnels ! En théorie, cette dernière affirmation est vraie. Et pourtant...

Et pourtant, depuis sa création, le prix Nobel a été décerné à plusieurs individus qui, si leurs contributions à la science ne peut être remise en question, avaient quelques légers problèmes énormes au niveau psychologique et/ou social. Tu sais ce qu'on dit sur le génie et la folie, n'est-ce pas ? C'est ce que l'on nomme dans les cercles sceptiques la maladie du prix Nobel, syndrome étrange qui fait que les récipiendaires de la distinction tant convoitée ont tendance à péter les plombs. Et pas qu'un peu, comme nous allons le voir.


James Watson, prix Nobel de médecine, zéro pointé en génétique


L'américain James Dewey Watson reçut, avec ses collègues britanniques Francis Harry, Compton Crick, Maurice Hugh et Frederic Wilkins, le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1962 pour ses travaux sur la structure moléculaire des acides nucléiques, qui permirent (si j'ai bien compris, ce qui n'est pas garanti) de mieux comprendre la façon dont la matière vivante transmet l'information. Il fut essentiellement considéré comme l'un des pionniers de l'ADN, ce qui allait s'avérer particulièrement ironique plus tard.

Tout alla bien dans le meilleur des mondes pendant plus d'une quarantaine d'années. Et puis, en 2007, alors que Watson approchait les quatre-vingt balais, il annonça dans plusieurs journaux que, bien qu'il "espérerait" que les hommes soient égaux, les noirs étaient malgré tout "génétiquement moins intelligents" que leurs homologues à bas taux de mélanine. Toujours d'après cet éminent savant, "les gens qui ont eu affaire à des employés noirs savent [qu'ils ne sont pas égaux aux blancs]".

Bon, jusque là, c'est pas brillant, mais ça peut s'expliquer par le fait que Watson est un homme né à une époque où ce genre de considération était tout ce qu'il y a de plus ordinaire et que l'âge n'a sans doute pas aidé aux capacités intellectuelles de ce grand homme. Mais le physicien était semble-t-il déterminé à aggraver son cas, aussi affirma-t-il péremptoirement que la stupidité était une maladie génétique qui devrait être guérie. Bien entendu, il ne s'incluait pas parmi les "malades" -il avait un prix Nobel, que diantre. Dix ans plus tôt, il était également d'avis qu'une mère devrait avoir le droit d'avorter son foetus si celui-ci possédait le "gêne de l'homosexualité".

Morale de l'histoire : ne donnez jamais de prix à un gars qui remonte
son pantalon au niveau de ses coudes.

Philipp Lenard, prix Nobel de physique, nazi


On ne le dit pas assez, mais on le constate très souvent : ça vieillit mal, un physicien. Prenez notre Jean-Pierre Petit national, par exemple. Et ce n'est d'ailleurs pas un fait nouveau, ainsi qu'en témoigne la triste histoire de Philipp Eduard Anton von Lenard, lauréat du prix Nobel de physique en 1905 "pour ses travaux sur les rayons cathodiques" (là-dessus, par contre, je peux t'assurer que je n'ai rien compris).

Au début de sa carrière, Lenard était un bonhomme bien brave, quoiqu'un poil arrogant et chatouilleux quant à son amour propre, jusqu'à ce que sa relation avec un certain Albert Einstein ne tourne au vinaigre à l'orée de la Première Guerre Mondiale. Einstein était en effet pacifiste, tandis que Lenard, très nationaliste, était favorable à l'entrée en guerre de l'Empire allemand. La tension vira à la rancœur, et éventuellement, Lenard, convaincu de sa supériorité, décida qu'il existait en fait une "physique aryenne" (ou Deutsche Physik, physique allemande), naturellement supérieure à la "physique juive", laquelle cherchait selon lui à "révolutionner et dominer l'ensemble de la physique", parce que c'est ce que font les juifs, comme chacun sait. Il décida aussi au passage de mépriser la "physique anglaise", qui d'après lui plagiait toutes ses idées sur les Vrais Physiciens Allemands™.

"La science, comme tout ce qu'a produit l'humain, est conditionnée par la race et le sang.", déclara-t-il. [1

Plus tard, en 1930, il rallia le tristement célèbre parti national-socialiste, séduit par les idées de son non moins tristement célèbre leader moustachu, et devint un soutien actif de l'idéologie nazie. Hitler, appréciant la conception de la physique de Lenard, fit de lui le chef de la physique aryenne du Troisième Reich. Il en profita pour casser davantage de sucre sur le dos d'Einstein, affirmant que sa célèbre équation E=MC² était en réalité l'œuvre du physicien Friedrich Hasenöhrl, parce que bisque bisque rage, bien fait pour ta face sale juif (c'est très important, la maturité, quand on fait de la physique).

La Seconde Guerre Mondiale terminée, Lenard fut renvoyé de son poste de professeur de physique émérite de l'université d'Heidelberg, et mourut deux ans plus tard, en 1947, à l'âge de 85 ans. C'est curieux comme tout le monde est devenu brusquement intolérant envers les nazis dès 45.

Linus Pauling, prix Nobel de chimie, pseudo-médecin


Considéré comme l'un des scientifiques les plus importants du vingtième siècle, Linus Pauling a à peu près tout fait : il fut l'un des tous premiers chercheurs en chimie quantique, il travailla dans la recherche médicale (où il découvrit que la cause de la drépanocytose est une structure anormale de l'hémoglobine), s'opposa aux essais nucléaires (et reçu en récompense le prix Nobel de la paix en 1962), il sera presque le découvreur de la structure à double hélice de l'ADN, mena des projets de recherche pour développer une voiture électrique efficiente et découvrit plusieurs propriétés de la vitamine C dont il popularisa l'emploi. Ses travaux sur la liaison chimique lui vaudront également le prix Nobel de chimie de 1954.

Oui, tu as bien lu : Pauling obtint deux prix Nobel différents (ainsi qu'une liste de distinctions longue comme le bras). Un cynique comme moi dirait que cela signifie qu'il avait deux fois plus de chances de péter un câble. Une personne plus raisonnable dirait simplement que Linus Pauling est la preuve s'il fallait la faire que même les scientifiques les plus brillants peuvent faire des erreurs -de grosses erreurs.


En effet, vers la fin de sa carrière, Linus Pauling devint un peu trop enthousiaste quant à ses découvertes sur la vitamine C. Son hypothèse de départ était que les substances normalement présentes dans le corps humain sont nécessairement bénéfiques**, et il en conclut que des doses massives de vitamine C pourraient guérir un rhume. Sur cette base, il fonda la (pseudo)médecine orthomoléculaire avec son associé Arthur Robinson (qui lui, était un pur pseudo-scientifique : négationniste du SIDA, du réchauffement climatique, signataire de la pétition A Scientific (sic) Dissent From Darwinism en faveur du créationnisme...). Éventuellement, Pauling affirma que la vitamine C pourrait être utilisé pour guérir le cancer, même en phase terminale. Des études menées en 1979, 1983 et 1985 démontrèrent pourtant que l'effet de la vitamine ne dépassait pas celui d'un placébo. En fait, il fut également découvert que la vitamine C s'opposait au bon fonctionnement des médicaments antinéoplasiques. Il apparut que Pauling avait commis l'erreur trop classique d'ignorer les données contradictoires.

Pauling mourut d'un cancer -l'Ironie Cosmique avait encore frappé !- en 1994. Sa "médecine" orthomoléculaire lui survécut, et ses "praticiens" modernes affirment maintenant pouvoir soigner des maladies psychiatriques, voire le SIDA, avec des doses massives de vitamine C, tout en expliquant bien sûr que si ça marche pas c'est la faute à Big Pharma qui fait rien qu'à saboter leurs efforts.

Kary Mullis, Prix Nobel de Chimie, maboul tous-terrains


Kary Mullis, docteur en chimie ayant exercé en cardiologie et en physiologie vasculaire, était en apparence loin d'être un con. Certes, il lui arrivait de faire des trucs un peu particuliers, comme consommer du LSD et attribuer à son usage la plupart de ses découvertes, mais bon, c'est comme ça que sont les scientifiques, n'est-ce pas ? Et puis, peut-être bien qu'il avait raison, après tout. Peut-être que certaines idées vraiment géniales ne peuvent être formées que par un esprit chevauchant une licorne verte fluo à travers le pays de la barbe à papa psychédélique. Ne me souvenant pas de mon dernier trip N'ayant jamais consommé aucune drogue, je ne saurais le dire.

Toujours est-il qu'il obtint, aux côtés de Michael Smith, le prix Nobel de chimie en 1993 pour son invention de la réaction en chaîne impliquant la polymérase et bordel de merde je commence à en avoir marre de recopier des trucs dont je ne comprends pas un mot.

Son autobiographie. Sans commentaires.

Mullis, devenu célèbre pour son côté "chercheur non orthodoxe" (c'est comme ça qu'on appelle tous les chercheurs qui ne cadrent pas avec le stéréotype du vieux scientifique sexagénaire barbu avec des lunettes à double foyer), en profita pour augmenter son degré de bizarrerie d'un ou deux crans. Dans une interview pour le magazine Spin (sorte d'équivalent américain de Science & Vie), il déclara que l'origine du SIDA n'était pas à chercher au niveau viral, mais plus au niveau des homosexuels (mais qu'est-ce qu'ils ont les prix Nobel avec l'homosexualité ?), en se basant sur l'irréfutable équation : plus d'homosexuels au vingtième siècle + le SIDA est apparut au vingtième siècle = l'homosexualité provoque le SIDA. Il écrira plus tard dans son autobiographie qu'en fait l'épidémie de SIDA est le résultat d'un complot impliquant le gouvernement, les scientifiques et même les écologistes histoire de faire bonne mesure. A moins que ce ne soit les extra-terrestres, les responsables.

Mais ce n'était pas tout. Décidant qu'être lauréat du prix Nobel de chimie signifie qu'il était désormais un spécialiste dans tous les domaines n'ayant que peu à voir avec la chimie, il affirma également que le réchauffement climatique n'avait rien à voir avec l'homme, que l'astrologie c'est pas du flanc, qu'O.J. Simpson est innocent, que le livre d'Urantia*** c'est pour de vrai et que les extra-terrestres nous rendent visite régulièrement. Et ça, il le sait, il en a rencontré un. Plus précisément, il a rencontré, une nuit de 1985, un raton-laveur brillant dans le noir qui lui a dit "bonsoir docteur", ce a quoi le docteur Mullis a répondu "hello" (oui, je sais, c'est pas transcendant, comme dialogue avec un ziti). D'après Kary, ce raton-laveur était une sorte de "projection holographique" qui n'avait rien à voir avec sa consommation de LSD, rien du tout du tout.

A savoir aussi que Kary Mullis n'apprécie pas trop qu'on remette son autorité en question, encore moins qu'on lui pose des questions trop précises sur les sujets sur lesquels il délire, ou qu'on lui fasse remarquer que son domaine d'expertise est la chimie et que lesdits sujets sont sans rapport. Peu importe ! Il a raison parce qu'il a un prix Nobel, merde !


* Authentique. [1][2][3][4]
** On notera que cette hypothèse de base était déjà peu logique. Avec le même raisonnement, je pourrais dire que les métaux lourds sont bénéfiques pour l'organisme, vu que nous avons naturellement dans notre corps.
*** Pour ceux qui ont la chance de ne pas connaître, il s'agit en gros de la Bible version New Age avec des extra-terrestres à la place des anges et où l'on apprend notamment que Jesus était un ziti. A lire à ce sujet : Urantia, The Great Cult Mystery de Martin Gardner (non traduit en français, à ma connaissance).

1 commentaire:

  1. Il en manque un petit au palmarès.

    Fritz Haber.
    Prix Nobel de chimie, nationaliste allemand convaincu, superviseur des attaques au gaz pendant la 1ere Guerre Mondiale, inventeur d'un excellent insecticide (le Zyklon...) qui a été très utile à l'humanité en sa version A, et beaucoup moins en sa version B, et capable d'engloutir des millions de marks dans la recheche de l'extraction de l'or depuis les océans. Ah, et soupçonné d'avoir "suicidé" sa femme.
    ironie cosmique : Haber était juif à l'origine et une partie de sa famille goutera à la version B de l'insecticide de tonton Fritz.

    Y a un excellent e-penser (pléonasme quand tu nous tiens) sur ce charmant bonhomme.

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